Les pensées parasites
Le week-end dernier j’ai
vécu dans l’ensemble des moments plutôt agréables. Mais je n’ai pu, comme
souvent, empêcher de voir les plaisirs que j’ai pris un peu brouillé par les
pensées parasites.
J’en donne deux exemples, les
plus significatifs, mais il y en aurait d’autres…
Le samedi, j’ai été voir le
film « Un poison violent » de Katell Quilleveré. C’est un joli film
plein de sensibilité, manifestement assez autobiographique. Il évoque un moment
dans l’adolescence d’une jeune fille, oscillant entre exaltation religieuse,
souffrance face à la décomposition de sa cellule familiale, premiers émois
amoureux et sensuels. Les diverses étapes du rapprochement physique entre le
jeune garçon et la jeune fille sont décrits avec beaucoup de finesse, au
travers de gestes à la fois pudiques, maladroits, mais aussi fougueux qui
montrent bien la complexité, les envies et les peurs, les retenues et la
détermination qui traversent les adolescents dans ces moments là.
Pendant le film me sont revenus des images de moi-même au même âge. Lorsque je suis sorti du cinéma il y avait un beau rayon de soleil qui m’a donné envie de marcher un peu. Mais plutôt que de continuer à baigner simplement dans l’ambiance du film, ou à profiter de ma promenade, je me suis laissé par trop envahir par les souvenirs de ce que je n’avais su vivre moi dans ce temps là de ma vie, par l’ado mal à l’aise avec son corps et avec ses émois, par le garçon trop sage qui n’a pas su profiter du temps des boums, des concerts et des flirts et qui s’est réfugié dans son sérieux d’intello, passant sans transition du petit élève studieux au mini apparatchik révolutionnaire et au professeur rouge. Pensée violente, presque déchirante, comme un lancinant regret. Mais regretter, quelle imbécilité ! Comment faire alors pour chasser de soi ces regrets inutiles et inopportuns qui n’ont pour effet que de jeter de l’ombre sur les plaisirs du présent ?
Le dimanche, je suis monté,
loin de mes territoires habituels, dans le grand nord parisien pour assister au
défilé, organisé par la communauté hindouiste, des adorateurs de Ganesh, le
Dieu éléphant. Je n’avais pas réalisé combien était importante et concentrée la
communauté indienne et sri lankaise dans le quartier entre Boulevard de la
Chapelle et Gare du Nord. D’emblée on se trouve quasi projeté dans cette région
du monde au milieu de ces échoppes, boutiques et restaurants caractéristique.
Certaines rues étaient carrément pavoisées, les tables des restaurants,
envahissant les trottoirs et débordant même sur la chaussée, coupée à la
circulation en raison du défilé. Des petits autels étaient installés devant les
boutiques, avec leurs offrandes de fruits, les bâtonnets d’encens mêlant leur
odeur à celle des épices. Au milieu de la foule les chars ont surgi, l’un tiré
par des hommes, pieds et torses nus, seulement vêtus d’un pagne, l’autre tiré
par des femmes en robes soyeuses et multicolores. Les gens suivaient, en
tentant de s’approcher au plus près des chars, en s’efforçant de faire bénir
par l’officiant des corbeilles de fruits. A certains endroits des jeunes ont
précipité avec violence des noix de coco au sol, pour les faire éclater, autre
forme d’offrande. Tout cela était joyeux et plein de ferveur. J’étais content
d’être là, de regarder tout ça, de prendre plaisir à faire des photos.
Mais, là aussi, des pensées,
des interrogations récurrentes n’ont pas manqué de venir s’immiscer entre moi
et mon plaisir. Je suis là et je ne suis pas là, moi l’homme qui toujours
regarde et se regarde, qui toujours soupèse et se soupèse, et qui même redouble
son regard à travers l’œilleton de son appareil photo. Je regarde mais ne
participe pas vraiment. Je ne peux m’empêcher d’avoir une forme d’envie pour
ces gens qui sont dans une adhésion immédiate, primaire, à ce qu’ils vivent, à
leurs croyances, à leurs gestes et à leur rites.
Je repense à une image du
film de Fellini « E la nave va », où l’on voit, tandis que les
réfugiés sur le bateau font la fête et dansent, deux vieux types, caricatures
d’intello, raides comme des piquets et qui discourent savamment des us et
coutumes de ces gens, passant ainsi à côté de la fête. Ce n’est pas un hasard
si c’est cette image là du film qui me reste, signe de ce qu’elle a toujours
fait fortement écho en moi, me renvoyant à mes propres incapacités à vivre
simplement, dans l’adhésion immédiate.
Je tiens naturellement à la
pensée, à la lucidité, au regard critique et distant sur ce que je vois comme
aussi sur ce que je vis. Mais parfois trop c’est trop, il faut pouvoir se
laisser aller aussi à juste goûter l’immédiat.
Comment faire pour empêcher
de se laisser trop souvent envahir par ces pensées parasites ?
Un des objectifs lorsqu’on
pratique le yoga est de tenter de chasser « l’agitation du mental ».
Plus facile à dire qu’à
faire naturellement !
Mais, tiens, ça me fait
penser que j’ai bien envie de me réinscrire au yoga cette année. Physiquement
ça me fera le plus grand bien, et au niveau mental et psychologique, ça ne peut
pas faire de mal.
Et puis est-ce que ma manie
d’écrire n’est pas élément qui renforce cette tendance à trop penser ? C’est
possible. L’idée que je vais écrire sur ce que je vois crée une sorte d’appel
d’air à la pensée, la met en mouvement, ce qui est une richesse mais qui a
aussi ses effets pervers, ce sentiment justement d’une dissociation, d’une mise
à distance. Est-ce qu’écrire, qui me fait à coup du bien, me fait du mal aussi
parfois ?
Holà voilà qui est bien trop
compliqué, bien trop impliquant pour trancher, allez, je laisse les pensées et vous
donne juste quelques photos.
Pour tenter de retrouver la saveur du moment, et la partager avec vous…