Noël
Comme d’habitude nous avons fêté Noël en famille chez la mère de Constance, avec les frères et sœurs de ma femme, ainsi qu’avec la génération nombreuse des neveux et nièces, qui pousse et nous pousse, vingt-cinq personnes au total. Plus mon père que nous avions invité aussi car sinon il serait resté seul de son côté.
Comme d’habitude j’ai vécu cette fête avec une certaine ambivalence.
D’abord je suis toujours un peu gêné par les rassemblements en grands groupes, avec ce qu’ils impliquent de lourdeur d’organisation, de promiscuité dans un lieu certes spacieux mais tout de même un peu petit pour vingt-cinq personnes, par l’effort de communication sociale qu’il faut faire pour être présent à tous, même à ceux avec lesquels on a spontanément moins d’atomes crochus. Les échanges sont gentillets, agréables mais ils restent toujours dans la superficialité. Ce n’est pas dans ces occasions qu’on parle cœur à cœur.
Et puis il y a la gêne face à l’excessive consommation. On dit chaque fois qu’on va se limiter, mais ça reste des vœux pieux. Pour ce qui est du discours tout le monde est plus ou moins d’accord pour fustiger la surconsommation, pour évoquer la pauvreté qui voisine avec l’opulence, pour dire qu’il faut modifier nos modes de vie et puis ensuite finalement il y a une sorte d’inflation qu’on ne peut véritablement juguler. Mes tentatives pour proposer qu’on supprime le foie gras entre les huîtres et le plat ont suscité le tollé de certains (m’enfin, il y en a qui n’aiment pas les huîtres !) alors il y a bien eu foie gras. Et c’est moi d’ailleurs qui ai été chargé de l’acheter pendant notre bref séjour dans le midi. J’adore le foie gras. Il était délicieux mais franchement j’aurais préféré le consommer dans d’autres conditions, vraiment pour lui-même, simplement sur un bon pain avec un bon verre de Sauternes, juste suivi d’une salade, d’un peu de fromage, d’un dessert fin et léger, plutôt que perdu dans le défilement des plats.
Pour les cadeaux aussi on tente de se limiter mais là aussi ce n’est pas facile. Je me suis senti à côté pendant le grand déballage. Et puis gêné en même temps. Car j’ai reçu moi. Et j’ai reçu avec un certain plaisir qui plus est ! Je n’ai pas quant à moi mis les pieds dans une boutique prétextant de ce que l’ambiance de consommation frénétique qui règne dans cette période m’insupporte, j’avais laissé Constance se charger totalement de cet aspect des choses. Du coup je n’ai pas même pensé à prévoir un petit quelquechose pour elle. Et ça, ça m’a interpellé tout à coup, mis mal à l’aise. Précipitamment avant que ne démarre la fête, j’ai trouvé chez ma belle-mère une jolie carte et j’ai noté dessus : « Bon pour un certain cadeau. A venir…» et j’ai mis l’enveloppe sur la pile des paquets comme si, au moins, déjà j’y avais pensé. Mais non j’avais purement et simplement oublié, et ça m’a fait un peu mal, ça en dit long un oubli pareil…
Je vais toujours dans ce genre de festivités familiales un peu à reculons. Mais il serait inconcevable de ne pas y aller et d’ailleurs je sais bien que je me sentirais mal à me retrouver seul dans un tel moment. Cela se passe bien, les participants sont tous de bonne volonté, les tensions sont laissées au placard, les sujets de discussion qui pourraient tourner à l’aigre sont évités ou plutôt abandonnés dès qu’on sent que ça dérape (hum ça, il n’en a pas toujours été ainsi !). La grand mère est si contente d’avoir tout son monde (et cette fois il ne manquait personne) qu’on s’en voudrait de se mettre à l’écart. Et je ne peux nier d’ailleurs que moi-même j’étais bien content de voir tout le monde, de voir mon anglais de fils notamment au milieu de ses cousins qu’il était ravi de retrouver, ils forment une sacré bande même s’ils se voient rarement désormais. Bref j’ai passé dans l’ensemble un très bon moment.
Il y a peu d’enfants dans la période actuelle, Il y a notre génération, les parents cinquantenaires, pas mal de jeunes adultes (nos fils, leurs cousins) et de grands ados (d’autres cousins plus jeunes). Peu d’enfants petits, juste la fillette de 3ans du couple recomposé de mon beau-frère et le bébé qu’il vient d’avoir il y a deux mois. Il n’y a encore aucun petit enfant dans la génération de nos propres enfants.
Noël c’est toujours aussi la remontée de moments de notre propre enfance et l’impossibilité naturellement de retrouver la magie que l’on a pu soi-même ressentir. Non parce que Noël aurait changé mais simplement parce que notre enfance est loin, quoiqu’on veuille tenter de garder d’elle au fond de nos cœurs. Les souvenirs s’en mêlent et portent avec eux à la fois l’enrichissement du moment présent et cette pointe inévitable de mélancolie dont il se teinte. On repense avec nostalgie aux Noëls d’enfant, aux Noëls d’antan. Et je revois tout à coup mon grand père de ce temps, je repense à ses larmes qui avaient surgies, qui m’avait marquées puisque je m’en souviens mais qu’enfant naturellement je ne comprenais pas.
Nous sommes restés dormir sur place. Au matin le temps épouvantablement pluvieux de la veille et de la nuit avait cédé à un joli soleil. Après les vaisselles et rangements matinaux et pendant que les garçons dormaient encore, pendant que Constance s’occupait dans la maison, pendant que ma belle mère allait à la messe (ah, là, là, tout fout le camp les messes de minuit ne sont plus à minuit !), je suis sorti seul avec mon père faire une grande promenade dans le parc du château voisin et le long de la vaste terrasse qui domine la vallée de la Seine. Nous étions bien tous les deux dans ce moment simple qui, quoique globalement silencieux, était un moment de partage.
Voilà, du gris et du rose toujours intimement mêlés. Je suis sûr que c’est comme ça chez beaucoup. J’ai bien aimé le compte-rendu en deux épisodes qu’Incertaine a donné de son Noël et ses réflexions plus générales sur le fait qu’on puisse être aussi juste en rendant compte d’un même moment sous des tonalités fort différentes. Je me retrouve assez là-dedans quoique j’essaie souvent pour ma part de fusionner dans un même billet les diverses lectures, c’est une des raisons je pense qui explique que mes billets soient parfois assez laborieux à produire.
Peut-être faudrait-il être plus simple. Juste prendre les choses comme elles viennent. Mais alors je n’écrirai pas, mais alors ce ne serait pas Valclair !