Croquis
Tout à l’heure, il y avait
un peu de tension dans l’air dans la maison. Le fils cadet est là ces jours ci et
légèrement envahissant ! Il s’est largement étalé dans le séjour au
prétexte que le wifi passe mal dans sa chambre. La radio fait un fond sonore
qui a le don de m’irriter. Il y a eu quelques mini accrochages ce matin sur
diverses tâches pratiques à réaliser. Alors là, au moment où je m’apprêtais à
disposer le déjeuner de midi sur la table et plutôt que de discuter ou
d’imposer mon envie de silence, j’ai décidé d’aller prendre l’air pendant un
moment et suis sorti sans rien dire et avec d’autant plus d’envie, qu’après une
violente averse de grêle, un grand soleil a percé entre les nuages menaçants.
Alors voici l’Avenue encore
luisante de la pluie passée et le vert tendre des feuilles des arbres ;
Les paulownias de la Place
d’Italie en pleine floraison sur fond de ciel bleu et de gros nuages aux formes
tourmentées ;
La foule compacte au marché,
l’ambiance si différente de celle qui régnait à l’heure où je fais moi le
marché, à neuf heures, à l’ouverture des étals ;
À la boulangerie cette queue
impressionnante sortant du magasin : je m’amuse à compter : vingt-six
personnes ! Les gens patientent sans stresser dans l’air gai du
matin ; il y a même un type qui lit son journal ;
Les employés du nettoyage de
la ville qui se déplacent en cohorte, pas du tout stressés. Ils étaient huit,
paisibles et devisant, s’avançant mollement, sous leurs gilets jaunes aux armes
de Propreté de Paris et poussant devant eux les sortes de petits caddys dans
lesquels ils ont leur matériel. La productivité n’est sans doute pas des plus
grandes mais après tout, pourquoi devrait-elle l’être ;
Une pocharde faisant la
manche dans la rue remontant du marché. Elle a posé deux canettes de bière sur
la murette qui longe la devanture d’un magasin d’articles de beauté. Cheveux
gris sales, visage boursouflé, gestes flous. Alternativement elle se regarde
dans la glace de la devanture qui fait miroir, comme s’observant, cherchant
quoi, puis se retourne vers les passants, tendant la main. Je suis sur le
trottoir de l’autre côté de la rue, je me suis arrêté, je la regarde quelques
instants, me sentant à la fois poigné de cette déchéance et un peu honteux de
mon voyeurisme…