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Les échos de Valclair
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25 juin 2010

Images

Décidément mon journal tend à se décaler dans le temps. Je reviens sur des images que j’avais notées, vite fait, dimanche dernier, mais sans avoir pris le temps d’en faire un billet. J’avais alors préféré donner quelques lignes sur Strasbourg, rattrapant ainsi déjà un vécu du week-end précédent. Mais ce soir j’ai retrouvé mon gribouillis, j’ai pris plaisir à le mettre en forme et voici…

Dans le métro en face de moi une jolie femme, à moins plutôt qu’il ne faille dire une jolie fille. Jeune certes mais dont l’âge est difficile à déterminer, entre vingt et trente ans sans doute. L’indétermination vient de ce qu’elle porte en elle des signes contradictoires, à la fois une grande juvénilité de corps et de visage et un aspect sérieux, tendu, raide ainsi que la façon, très dame, dont elle est habillée : chemisier blanc, gabardine claire, de longues jambes minces gainées de bas noirs, des chaussures élégantes. Elle est blonde, ses cheveux raides, coiffés à plat tombent sur ses épaules. Son regard derrière des lunettes aux verres trop grands pour la forme de son visage, est concentré, immobile, sévère, comme l’est toute sa personne. Elle tient ses mains croisées, crispées presque, sur son sac posé sur ses genoux. La gabardine entrouverte laisse voir ses jambes jusqu’à mi-cuisse, sans qu’on n’aperçoive sa jupe qui doit donc être fort courte. A moins que… Mon imagination se met à faire plaisamment des siennes. Je scrute d’autant plus la ligne de ses jambes, le lieu où elles s’enfouissent sous la matière de la gabardine. Sans succès ou plutôt avec le succès de ne rien voir ce qui laisse donc mon imagination libre de courir et me permets de commencer à me raconter une histoire…

Mais je suis arrivé à destination, sans que la fille ait bougé le moins du monde, je m’éloigne avec sa troublante image dans les yeux…

Peu de minutes plus tard, je marche sur le boulevard. Je croise une petite dame très âgée qui a l’air de revenir d’une randonnée. Elle a des chaussures de marche légères, elle est emballée dans un vêtement de pluie, la tête serrée sous une capuche alors qu’il ne pleut pas et qu’il fait plutôt doux même s’il fait gris. Elle porte un petit sac à dos rouge, elle est toute courbée, toute contrefaite, marche un peu de travers avec une certaine difficulté, en tenant à la main un bâton de ski, comme les randonneurs en utilisent parfois en guise de canne de marche. Elle s’arrête devant un massif de fleurs qu’elle contemple quelques instants avant de repartir. Son regard ne renvoie pas un bonheur de promenade, le plaisir de l’instant présent mais quelque chose d’indéfinissablement triste, un regard perdu, un regard de chien battu. Revient-elle vraiment de randonnée ou l’a-t-elle juste singée sans quitter le quartier juste pour tenter de retrouver une activité qu’autrefois elle aimait ? J’en ai le cœur étreint. Sans doute aussi parce que j’y vois la patte irrémédiablement destructrice du temps, parce que je peux même m’imaginer, moi, le grand amateur de randonnées, dans vingt cinq, trente ans d’ici, seul, perdu, travaillant un peu du chapeau, et cherchant dérisoirement au pied de mon immeuble à mimer mes plaisirs passés.

Mais sans doute la jeune femme avait-elle une petite jupe sage juste un peu remontée par sa position assise, sans doute la veille dame rentrait-elle, un peu amortie par la fatigue, d’une petite balade avec ses copines…

Je ne me serais pas arrêté sur ces images fugaces et sur les broderies que j’ai faites à partir d’elles dans le temps minuscule d’un instant. J’aurais sans doute immédiatement oublié mes imaginations, si elles n’avaient pas si vivement fait contraste dans mon petit kaléidoscope mental, me donnant pour le coup l’envie de les accrocher, de les figer sur le papier.

Un peu comme j’aime le faire parfois avec les images sorties des rêves de la nuit…

 

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Commentaires
G
Il n'est pas rare que j'invente aussi une vie à un homme ou une femme croisé au hasard qui me marque pour une raison que j'ignore. Leur vie inventée est-elle plus belle que la leur, en vrai ? Je ne sais pas. Je crois que je suis de celles qui inventent des histoires gaies, mais cela dépend tant me mon propre état d'esprit. Il se peut que vous aussi...
V
Au contraire, merci. C'est très sympa cette variation.<br /> Et c'est vrai que j'aurais aimé pouvoir le vivre et le raconter ainsi. Sauf qu'en l'occurrence c'est vraiment la tristesse, le regard battu de cette vieille dame qui m'a sauté littéralement au visage et qui a induit mes pensées, m'interdisant une perception plus légère, plus ambivalente comme celle, si joliment tournée, que vous nous donnez, Gozillon.
G
Peu de minutes plus tard, je marche sur le boulevard. Je croise une petite dame très âgée qui a l’air de revenir d’une randonnée. Elle a des chaussures de marche légères, elle est emballée dans un vêtement de pluie, la tête serrée sous une capuche alors qu’il ne pleut pas et qu’il fait plutôt doux même s’il fait gris. Elle porte un petit sac à dos rouge, elle est toute courbée, toute contrefaite, marche un peu de travers avec une certaine difficulté, en tenant à la main un bâton de ski, comme les randonneurs en utilisent parfois en guise de canne de marche. Elle s’arrête devant un massif de fleurs qu’elle contemple quelques instants avant de repartir. <br /> <br /> C'est alors qu'un passant survient. Je ne suis pas de son âge, loin de là, mais je m'attendris à la voir se laisser ainsi surprendre dans une tenue qui n'est pas particulièrement accordée au temps qu'il fait et à ce boulevard tout ce qu'il y a de plus urbain. Je ne sais pas si je souris de son accoutrement ou si le sourire qui se dessine à peine sur mon visage vient de cette rencontre brève et imprévue entre deux regards si différents posés sur les fleurs du parterre. Il y a sans doute des deux, mais j'oublie immédiatement l'ironie : anémones, pensées et ancolies en mélange – un peu mièvres, comme le sont souvent les fleurettes trop paysagères – prennent un relief inattendu (« que s'effacer soit ma façon de resplendir » Ph. Jaccottet) et la rencontre de nos deux visages semble à l'une comme à l'autre apporter ou rendre une sérénité, oui, un peu triste, mais ,oui, aussi un peu guillerette et c'est comme allégé, moi aussi, que je vois la petite et vieille dame repartir, rouge et grise,un peu amortie par la fatigue, comme si elle rentrait chez elle après une bonne balade avec des copines. <br /> <br /> Pardonnez-moi, Valclair!
V
J'aime en effet à accrocher ces spectacles minuscules, à m'arrêter sur les effets qu'ils me font. Et ce sont les billets que j'ai le plus de plaisir à écrire, ceux où j'ai l'impression en les écrivant d'approfondir, de vivre deux fois le sentiment ou l'imagination que j'ai eue. Alors j'aime qu'ils vous plaisent, qu'ils fassent écho et vous remercie de me le dire!<br /> <br /> Quant à cette "patte destructrice" , Gozillon, je la crois incontestable. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut s'en désespérer, juste apprendre à faire avec et peut-être en effet trouver dans l'âge certaines richesses que l'on n'avait pas avant. Notre amie Micheline, incontestable ainée, nous le montre bien. N'empêche la destruction est au bout du chemin, irrémédiable. Pour ceux qui ne croient pas en tout cas à une vie éternelle ce qui est mon cas...
P
J'aime beaucoup cette évocation des pensées qui peuvent nous traverser l'esprit, et parfois s'y attarder, face à des personnes que l'on remarque plus particulièrement que d'autres.<br /> <br /> Par ailleurs je suis assez sensible à l'évocation que tu fais de cette jeune femme et ta description stimule aussi mon imaginaire...
Les échos de Valclair
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