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Les échos de Valclair
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9 mai 2009

Deuil difficile

Comme beaucoup le savent désormais, mon petit canton de blogosphère a été récemment affecté par le décès d’une blogueuse intermittente et discrète mais qui pour certains d’entre nous comptait beaucoup.

Je ne reviendrai pas ici sur la réalité des liens dits virtuels. Seuls des personnes qui ne pratiquent pas le blogomonde peuvent douter de la réalité, de l’importance, de la potentielle intensité de relations entretenues au long parfois de plusieurs années avec des personnes que pourtant on n’a jamais vu.

Dire cela ne signifie pas que je n’ai pas le souhait de rencontrer « en vrai » ces personnes. Je suis très heureux désormais chaque fois que je peux mettre une apparence corporelle, une voix, un visage et des regards vivants sur des mots. J’étais réticent au début de ma pratique. Enfin réticent n’est pas le mot. Disons plutôt que je m’en effrayais. Mais c’est vieux ça, j’ai bien changé sur ce point et je regrette donc toujours quand ces rencontres ne peuvent avoir lieu, que ce soit à cause de l’éloignement géographique ou parce que l’autre, pour des raisons qui lui sont propres et qui sont parfaitement respectables, n’y est pas prêt.

Ainsi en a-t-il été pour elle. J’avais le sentiment que le moment d’une rencontre approchait, nous en évoquions la possibilité depuis déjà longtemps mais les réticences de son côté restaient puissantes je le savais bien. Je sais qu’elle était dans la salle le jour de mon intervention, elle me l’a laissé entendre à plus que demi mot dans une réponse à un commentaire récent déposé sur son blog : « Paris est tout petit; alors forcément il y aura un jour où on se croisera "en vrai". (j'aurai sur toi l'avantage de te reconnaître, mais chut!!!) ». Je m’en veux de n’avoir pas suffisamment scruté la salle pour essayer de la repérer. J’avais fortement pensé à elle, sachant qu’elle viendrait peut-être, lorsque les gens entraient dans la salle puis j’ai été absorbé par les interventions et par ma propre anxiété avant ma prise de parole. Au moment de la dispersion je n’ai plus pensé qu’à mes blogamis présents avec qui je suis parti prendre un pot, sans plus m’interroger sur sa possible présence, sans chercher un signe que peut-être elle aurait pu être tentée de me faire.

Et c’est maintenant qu’elle n’est plus, que je prends la mesure de ce qui manque. Le fait de ne pas l’avoir rencontré ne rend pas la personne plus lointaine, ne fait pas de son décès un évènement plus anodin, plus indifférent. C’est même tout le contraire, comme s’il manquait quelquechose pour pouvoir accomplir correctement le deuil. Il me manque le souvenir de la réelle présence, il manque en moi l’image de ce à travers quoi s’incarne et se synthétise la personne, cette enveloppe corporelle et tout ce qui en émane et qui assure la présence aux autres et aux monde.

Je n’ai d’elle que des fragments, cette sorte de puzzle que sont ses mots. J’ai relu, ceux que j’ai conservés, parce que j’avais pris le soin de les imprimer mais qui ne sont qu’une petite partie de ceux qu’elle avait écrits et déposés dans ses blogs. J’ai cherché à travers cette relecture à la saisir mieux. J’ai perçu certaines choses qui m’avaient échappées. J’ai été frappé aussi de voir à quel point depuis fort longtemps tout déjà était écrit sous le regard de la mort dont elle savait l’approche même si ses textes restaient là dessus infiniment pudiques.

J’ai repris aussi la correspondance que j’ai échangé avec elle et dont je me propose de faire un fichier word propre et bien présenté et que j’imprimerai. Je reste un homme de la génération papier. J’ai besoin pour ce qui compte vraiment d’une lecture qui ne soit pas seulement celle de clignotements lumineux sur un écran. J’ai besoin de m’appuyer sur un support physique que je peux conserver et manipuler. Ce n’est pas une correspondance volumineuse mais elle est riche par sa profondeur et elle suffit à tracer l’histoire d’une relation.

J’ai relu plus d’une fois et avec une intense émotion l’extrait de ses textes qu’elle avait spécialement choisi pour moi, en fonction de ce qu’elle savait devoir faire plus particulièrement écho en moi et que sa cousine, sur ses consignes, m’a fait parvenir. Elle l’avait enregistré à mon nom, rajoutant au bas du texte : « Pour Valclair, en souvenir d’une amitié que l’on nomme virtuelle ». Elle a eu cette attention particulière pour quelques uns d’entre nous qu’elle considérait comme très proches. C’est bouleversant ce signe qu’elle a tenu à nous faire passer d’au delà de la mort.

Hier j’ai voulu retourner sur son blog. Il n’est plus en ligne. Nous savions que cette suppression était imminente, la cousine qu’elle avait chargée de nous informer, nous l’avait annoncé. N’empêche ça m’a fait un petit choc supplémentaire de tomber sur la mention : « La page demandée n’existe pas ou n’est plus disponible ! » Sa dernière présence sur la toile est ainsi effacée, c’est un départ, c’est un déchirement de plus. Il n’y aura pas plus de traces d’elle à la BNF. Le hasard a voulu, certains diraient que ce n’est pas le hasard, que les collectes d'archivage du web aient eu lieu aux moments de ses intermittences, après qu’elle ait eu effacé un précédent blog, avant qu’elle ait eu développé le nouveau.

C’est ainsi. Ce n’est pas plus grave que ça. Même si nous cherchons à conserver que ce soit dans nos bibliothèques et dans nos greniers, à l’APA ou à la BNF, nous savons bien aussi, combien tout ça, si on le prend d’un peu haut, d’un peu loin, est vain et dérisoire, comme le sont nos vies dans le grand flux du cosmos. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire et que la vie n’est pas importante et merveilleuse.

J’ai hésité, connaissant sa discrétion, à mettre ces mots-ci en ligne. Mais c’est de mon affliction que je parle. En parler l’allège, en parler fait le deuil.

Maintenant de toute façon, la page doit être tournée. La vie continue, il s’agit comme tous ses propos y incitait, de vivre dans leur plénitude tous les fragiles bonheurs qui passent à notre portée.

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Commentaires
M
un petit signe discret à ajouter à vos souvenirs d'une personne que je ne connaissais pas.
V
Oups! Je viens d'aller voir. Justement, tu es revenue...
V
J'aime bien ce terme de prière. Il m'a surpris d'abord, je ne l'aurais pas dit comme ça, mais après tout pourquoi pas, c'est large une prière...<br /> <br /> Et je suis heureux, Tita, de te voir repasser par ici, signe que tu es là toujours même si nous n'avons pas eu ces derniers temps le plaisir de lire tes beaux textes courts mais denses comme des diamants.
T
Très touchée par cette belle prière.<br /> Vraiment. Amicalement.
V
J'aime , mes chères Coum et Telle, qu'au travers d'elle nous soyons un certain nombre qui étions déjà proches à nous trouver encore rapprochés par les mots que nous laissons ici et là même si l'occasion en est bien triste.<br /> Et merci aussi à celles qui ne sont pas du petit groupe qui la connaissaient bien, Ondine, Valérie, pour vos pensées.
Les échos de Valclair
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